Le courage d’aimer

Xenia Kononenko

 

 И скорее справа, чем правый, Я был более слово, чем слева.

Et plutôt de droite, qu’à droite, j’étais plus qu’un mot, qu’à gauche.

Vélimir Khlebnikov

 

Lacan a dit dans le Séminaire XX : « Faire l’amour, comme le nom l’indique, c’est de la poésie » [1].  Plus tard, Miller dira de la poésie : « La poésie […] c’est l’usage du signifiant à des fins de jouissance » [2].  Ainsi, la question de l’amour et celle de la poésie s’unissent autour de la jouissance, ce Réel, et non du sens. L’énigme de la jouissance dans l’amour malheureux et douloureux réside dans la contingence de cette rencontre traumatique avec la jouissance enfermée dans le signifiant devenu destin.

La poésie, comme l’amour, peuvent représenter une tentative d’un autre traitement de la jouissance traumatisante et non assimilée – même s’il n’en va pas pour toute poésie, ni tout amour. Pensons par exemple à la poésie des futuristes russes et des Oberiouts, ou encore l’amour au-delà des identifications et de l’automatisme, l’amour depuis la position féminine, l’amour depuis la position de la castration, depuis la position du « pas-tout ». La proximité entre la poésie des Oberiouts et l’amour depuis la position féminine constitue une autre manière de traiter la jouissance logée dans le mot. Au-delà du phallique, affirmant sa place comme S de A barré, signifiant du manque dans l’Autre, la poésie et la position féminine se rejoignent dans un amour qui inclut cet « illimité », permettant de dépasser le sens lié au fantasme de l’existence du rapport sexuel entre les sexes.

Être « Plus qu’un mot » – c’est une rime entre le grand poète russe Khlebnikov et Lacan, qui a dit : « […] je ne suis pas un poète, mais un poème » [3]. Caroline Koretzky, lors des dernières journées de l’École, a affirmé que « la logique de la disjonction entre le symbolique et le réel qui parcourt la fin de l’enseignement de Lacan radicalise la question de la responsabilité » [4]. Cela signifie qu’en vue d’un amour plus digne, en analyse, le sujet prend la responsabilité face à une rencontre contingente en reformulant et réécrivant sa jouissance. Devenir poésie à partir de ce qui n’avait pas encore été lu, c’est la pratique d’un nouvel amour, contre celui qui est douloureux. Sans garantie mais avec le courage d’aimer.

Références

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 68.

[2] Miller J.-A., « L’Orientation lacanienne. Un effort de poésie », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université́ Paris 8, cours du 26 mars 2003, inédit.

[3] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 572.

[4] Koretzky C., « La marque et le poids » publication en ligne : https://journees.causefreudienne.org/la-marque-et-le-poids/?print=pdf