Le transfert, à rebours d’un amour douloureux

Perla Miglin

 

« C’est ainsi que Freud se situe dès le principe dans l’opposition dont Kierkegaard nous a instruits, concernant la notion de l’existence selon qu’elle se fonde sur la réminiscence ou la répétition […]. Cette répétition étant répétition symbolique, il s’y avère que l’ordre du symbole ne peut plus être conçu comme constitué par l’homme, mais comme le constituant. [1] »

« Quelle est la relation d’un sentiment tel que l’amour avec une formule de l’ordre du sujet supposé savoir, c’est assurément ce qu’il est tout à fait impossible non seulement d’expliquer mais même seulement de faire sentir. [2] »

Le désir de l’analyste est l’objet d’une aliénation constituante, avais-je écrit pour le blog de l’AMP 2006 [3], non sans réaliser que « ça répond à cette constante du champ freudien. Les pertes opèrent, elles agissent [4] ».

Après la parution du Séminaire XIV, La logique du fantasme, et du Séminaire XV, L’acte psychanalytique, j’ajoute aujourd’hui une élaboration concernant le concept de nouvelle aliénation, à la suite du passage suivant de l’enseignement de Lacan : « Il est impossible que vienne d’ailleurs que du fantasme du psychanalyste – à savoir de ce qu’il y a de plus opaque, de plus fermé, de plus autiste, dans sa parole – le choc d’où se dégèle, chez l’analysant, la parole [5] ».

Avec la nouvelle aliénation :

« la séparation est alors le retour de ce manque d’être qu’est le sujet pour recouvrir le manque présent dans l’Autre.

C’est par là que Lacan peut mettre en fonction le désir de l’analyste comme précisément le point d’appel de la séparation. Le désir de l’analyste en tant qu’il opère au lieu de l’Autre, consiste à ménager, dans le champ de l’Autre, cet espace de vide où le manque du sujet se trouve appelé à devenir être. C’est en quoi Lacan peut qualifier une analyse, non plus comme un avènement du sujet – c’était sa première doctrine – mais comme un avènement d’être, lié à la fonction de l’objet.

Si, après, Lacan insiste sur la fonction du sujet supposé savoir comme pivot du transfert, c’est contre ce qu’il a dit lui-même précédemment. S’il y insiste, c’est pour situer le transfert du côté de l’aliénation. Lacan a toujours traité le transfert comme une interruption de la relation symbolique. C’est déjà présent […] dans son schéma L où le transfert correspond à un point mort. C’est là le saut tout à fait capital que constitue l’avancée du sujet supposé savoir, qui est d’admettre que le transfert puisse aussi bien qualifier l’aliénation, c’est-à-dire le rapport au signifiant. Par la suite, cela conduit Lacan à considérer que le transfert se motive suffisamment de la primarité signifiante du trait unaire […]. Le transfert n’est plus seulement qualifié dans sa fonction d’interruption du symbolique, mais comme le support même de cette relation symbolique [6] ».

De ce fait, le transfert ne peut pas être un amour douloureux ; à rebours, dans l’expérience de l’analyse, il devient un amour plus digne, où s’inscrit « cette Spaltung dernière par où le sujet s’articule au Logos [7] ». Est-ce là l’indication du fantasme fondamental ?


Références

[1] Lacan J., Écrits, Paris, Seuil, 1999, p. 46.

[2] Lacan J., Le transfert dans l’expérience analytique, https://www.youtube.com/watch?v=m2kT1ypVse8

[3] https://uqbarwapol.com/gip-nls-israel-deseo-del-analista/

[4] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. 1, 2, 3, 4 », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 15 mai 1985, inédit.

[5] Lacan, J., Le Séminaire, livre XV, L’Acte psychanalytique, Paris, Seuil, 2024, p. 298.

[6] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. 1, 2, 3, 4 », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 24 avril 1985, inédit.

[7] Lacan J., « La direction de la cure », Écrits, op. cit., p. 642.